1994, prison centrale de Kigali
En août 1994, quelques mois après le génocide, franchir les portes de la prison centrale de Kigali relevait de l’exploit. Prévue pour un peu plus de deux mille détenus, elle en comptait déjà plus de onze mille en 1996. Un univers saturé, étouffant, où la surpopulation était telle que chaque espace devenait un lieu de survie. Trois quartiers se côtoyaient : les hommes, les femmes — souvent avec leurs enfants — et les mineurs. La séparation entre eux n’avait rien d’une vraie protection ; elle n’était qu’une limite symbolique, laissant craindre les pires violences, notamment envers les plus jeunes. À l’intérieur, presque aucun surveillant officiel. L’ordre était assuré par quelques “matons”, eux-mêmes prisonniers, imposant leur autorité à coups de matraque. Cette organisation interne, opaque et brutale, renforçait l’insécurité et alimentait les abus. L’armée rwandaise n’entrait pas dans l’établissement : la prison fonctionnait comme un monde clos, livré à ses propres règles. J’ai tenté d’accéder au quartier des mineurs, mais les détenus du secteur hommes m’ont immédiatement refoulé. L’atmosphère était lourde, les regards défiants, la tension palpable. Les maladies ajoutaient encore à la détresse : paludisme, dengue, infections liées à l’hygiène catastrophique — autant de fléaux qui emportaient chaque semaine des prisonniers déjà affaiblis. Ce reportage témoigne de ce moment suspendu de l’histoire rwandaise, où la prison centrale de Kigali reflétait, à sa manière, le chaos d’un pays encore meurtri. Un lieu où survivre tenait plus du hasard que de la règle.





















